« Tademakat, une très longue histoire », par Alain Bregy, administrateur du site web Kidal Info ; copié en 2012 par AG AZAMANE.

A 60 km au nord de Kidal, se trouve une petite vallée ensablée jonchée de ruines et d’inscriptions arabes ou touarègues de l’époque néolithique. C’est le site de l’ancienne Tademakat, une oasis saharienne qui fut en son temps l’un de haut-lieux de la civilisation du désert.

Son existence est attestée dès le Xe siècle par Ibn Hawqal (« La configuration de la Terre« ) qui y séjourne deux fois, en 951 et 970. Il nous donne le nom de ses deux rois et la décrit comme une cosmopolis commerçante hyperactive.

Le site de Tademakat a peu livré de trésors aux archéologues et aux historiens, notamment à cause de sa difficulté d’accès et de la situation politique, étant enfermé dans le no-mans-land interdit d’accès par l’armée malienne pendant près de 30 ans, puis ensuite au cœur des zones de combats entre rebelles touaregs et gouvernement central, des années 90 à nos jours.

Au sol, tout est effondré, mais d’en haut, des dunes et des roches qui l’entourent, la vallée montre toute une ville avec de grandes rues et un bâti s’étendant sur une large zone. Un peu partout des stèles funéraires nous aident à dater tout ça. La plus ancienne de celles qui sont datées (en fait peu le sont) nous dit qu’elle a été érigée en l’année 404 de l’Hégire (entre fin 1013 et début 1014), donc il y a exactement un millénaire.


Tademakat – dont le nom signifie en tamasheq, la langue touarègue – « ta dagh Mekkat » (ceci est la Mecque, en français), était en son temps considérée comme si bien bâtie et si industrieuse qu’on ne pouvait, fantasmatiquement parlant, que la comparer à la capitale religieuse de l’Islam.

Avec mon ami Daouda, l’historien-archéologue de Kidal/Gao, j’ai beaucoup parcouru le site ; avec mes autres amis Mohamed Lamine ou encore Dida, j’ai longuement échangé sur l’histoire du site. Elle est trop longue à raconter mais en voici quelques extraits que j’ai compilés dans les années 2004-2005, avec les écrits des chroniqueurs arabes médiévaux, Al-Umari, Ibn Hawqal, Al-Idrissi ou encore Al Bakri.

J’ai été le premier à découper les pages et ouvrir le « Tarikh Es-Sûdan » à la BNU de Strasbourg, une édition de 1951 encore jamais ouverte. Je ne sais pas si quelqu’un l’a réouvert depuis… C’était très émouvant, dehors il neigeait à plein temps, la Place de la République était toute blanche, et dans le confort ouateux de la salle de consultation, j’étais en 1422, dans l’oasis mystérieuse, un vrai voyage intime, un retour rêvé vers mon Adagh secret.


La tradition orale nomade, à la fois arabe et touarègue, nous raconte que l’oasis a été conquise par Oqba, l’envahisseur arabe qui prit tout le Maghreb berbère vers le milieu du Xe siècle, après un combat homérique contre son roi Koseilata.

Vu qu’il y a bien eu un roi berbère mais très au nord qui s’appelait Kosaïla et c’est lui qui a défait et tué Oqba (dont la tombe est visible dans les Aurès en Algérie), on peut imaginer qu’il s’agit plus d’une réappropriation ultérieure plus qu’un fait historique.

Même si Al-Umari parle de l’ « Etat berbère de Tademakat » et Ibn Khaldoun de royaume indépendant, ce ne pouvait être sous la chefferie de Koseilata…, à moins qu’il y en ait eu deux de même nom dans l’histoire, c’est possible. Mais ce qui est intéressant, c’est qu’à Koseilata succéda une grande reine appelée Satawnata qui était une magicienne lisant l’avenir dans les cauris, les petits coquillages blancs. Elle avait prévenu Koseilata de l’imminence de l’attaque d’Oqba mais il ne l’a pas écoutée. Elle lui a succédé pour régner sur la ville. Elle était si riche dit-on que la veille de sa mort elle enterra son trésor (des tonnes d’or) dans un lieu secret de la ville, et depuis chacun tente sa chance en creusant.

La science archéologique y perd ce que les veinards y gagnent : des bergers nomades auraient trouvé des bijoux en or il y a une dizaine d’années en fouillant au hasard…

 Que la reine Kahina ait au nord succédé à Kosaïla et que « Kahina » signifie « la prophétesse » montre que les liens qui lient l’Adagh au nord de l’Afrique sont historiquement plus profonds que ceux qui le lient au sud.

Kosaïla et la Kahina étaient issus de la grande tribu des Zenâtas, ennemis traditionnels des Sanhadja. Leur conflit a traversé toute l’histoire de l’Afrique du nord mais ça ne rentre pas dans ce cadre.


Parmi les autres personnages historiques célèbres de Tademakat, il y a le terrible Abou Yazid né là vers 885 d’une mère esclave dit-on, il avait la révolte dans le sang (je me demande si ce n’est pas le pays qui veut ça ?) : à la tête d’une immense armée constituée au fil de ses conquêtes, il fit tomber le royaume Fatimide, prenant Tunis, Kairouan et bientôt presque tout l’est du Maghreb, semant terreur, incendie et désolation sur sa route. Tué au combat en 947, « il fut écorché et sa peau remplie de paille fut placée dans une cage pour servir de jouet à deux singes » nous dit Ibn Khaldoun.


Mais là où ça devient passionnant et moderne, c’est que Tademakat a été probablement fondée (ou au moins développée) par des Ibadites, un des nombreux schismes musulmans. Elle (ils…) commerçait avec Tahert, une ville-étape très au nord, loin en Algérie, fondée elle aussi par les Ibadites. C’était la route du Sahara central, l’autre grande route commerciale plus à l’ouest étant celle allant de Aoudaghost (Mauritanie actuelle) à Sijilmassa (Maroc) et l’autre, plus à l’est, de Kano en Libye en passant par Agadez.

Le Mali actuel est l’un des plus gros producteurs d’or au monde ; à l’époque c’était déjà le cas, et lors de son fameux pèlerinage en 1324, le grand roi Kankan Moussa de l’empire du Mali fit étape à Tademakat. Il portait avec lui tant d’or que sa valeur s’est effondrée pendant plusieurs décennies sur tout le marché méditerranéen, manquant de peu de ruiner Venise et Constantinople.


Vers les années 1085-1086 les Lemtounas, des Sanhadja qu’on connaîtra sous le nom d’Almoravides (ceux qui ont pris Grenade et Séville et construit l’Alhambra), djihadistes fondamentalistes et partisans d’un islam austère et rigoureux, venus de Mauritanie, prennent Tademakat.

Rien de neuf sous le soleil. S’ensuit alors trois siècles de conflits parfois larvés, parfois violents, entre Ibadites et Sanhadjas, mais ce qui est très intéressant, c’est que c’est vers cette période que se dessinent certaines des tribus actuelles… Les Zenâtas/Ibadites de Tademakat, entre-temps devenue Essouk (le « marché » en arabe), d’obédience plutôt soufie (islam « interne » et mystique) deviennent les Kel-Essouk (littéralement « Ceux d’Essouk »), appellation qu’une vaste tribu touarègue éparpillée depuis entre Mali et Niger porte toujours encore aujourd’hui.

Dans la région de Kidal, les Kel-Essouk qui nomadisent vers la Tamasna et vers le sud de l’Adagh, sont toujours dépositaires de ce savoir fait de tolérance et se sont toujours opposés aux djihadistes fondamentalistes.

Rien de nouveau non plus, lors d’une guerre qui opposa, il y plusieurs siècles, les Arabes Kounta aux Touaregs, les premiers traitèrent les seconds de « fils de Koseilata et de Satawnata », ce qui signifiait qu’ils n’étaient que des piètres musulmans, mais surtout montrait que des histoires survenus 800 ans plus tôt avaient encore un sens. Pour nous, ça paraît étrange, mais pas pour des gens dont l’affiliation, tribale et historique, donne un sens complet à la raison d’être là et de faire ce qu’ils font.

 Des stèles de Tademakat sont en marbre blanc et ce marbre vient de l’Espagne almoravide, d’Almeria précisément. Des gens de Tademakat ont donc très certainement vu l’Europe plusieurs siècles avant que nous nous découvrions leur pays.

Ce qui compte, c’est ce que nous nous découvrons, même si c’est des siècles plus tard. Petites vanités d’occidentaux un peu trop orgueilleux. Lors d’une fouille sur site, Daouda a trouvé un tesson de poterie verte qu’il montra un jour à un archéologue français de passage à Bamako. Il reconnut immédiatement le fameux vert céladon typique des poteries chinoises de l’époque Yuan vers 1250.

 Tademakat n’était pas une oasis fantôme coupée du monde, mais vivait au cœur même du monde, connectée à cet immense bassin d’échanges culturels et commerciaux que constituait la route de la Soie. Via Constantinople probablement, puisqu’on y a retrouvé la toute première carte arabe complète du monde, dessinée au XIe siècle d’après les voyages d’Ibn Hawqal et que Tademakat y figure.


Vers 1580, un étranger venu de l’ouest arrive à Tademakat, appelé Mohammed Wan Ara, qu’on surnommait Ur-Illmmed (« celui qui n’apprend pas« , sous-entendu « clui qui ne se soumet pas à l’opinion des autres » – (« Awellemed » au singulier qui donna « Iwellemeden » au pluriel (dont l’ancêtre de Karidenna assujettit les Tademakat, NDLR). Le roi Allad lui donne sa fille comme épouse. Une fois Allad décédé, il rallie à sa cause un groupe important d’habitants mi-nomades, mi-sédentaires de la Tademakat ancienne et entame un long combat contre les Tademekkois restés fidèles à Allad qui préféraient une succession matrilinéaire traditionnelle à ce coup d’état mené au nom d’une succession patrilinéaire conforme aux prescriptions coraniques. … (L’histoire – tradition orale – dit aussi que la Tademakat-Essouk fut détruite par l’Empereur Songhoï à la même date, vers 1450 ? NDLR).

Rien de nouveau. Vaincus, les Kel Tademakat s’exilent vers le fleuve, vers les années 1635-1640, où cette tribu touarègue existe toujours.

Es-Saadi raconte dans le Tarikh Es-Soudan (celui que j’ai défloré à le BNU à Strasbourg) l’histoire en détail, précisant que le Pacha de Tombouctou a reçu en audience leur chef Baba-Hama et qu’il l’autorisa à s’installer sur le fleuve.

Le fils d’Ur-Illmmed, Karidenna, succède à son père mais un énième conflit, ou peut-être alors une sécheresse très brutale, oblige sa tribu à migrer à son tour vers le sud. Ce sont les Iwellemeden d’aujourd’hui, la plus puissante tribu guerrière touarègue jusqu’à il y a peu. C’est leur chef Fihroun qui mena la guerre contre nos troupes coloniales pendant des décennies.


Une autre tradition raconte que ce sont les Iwellemeden vaincus qui s’exilèrent au sud après qu’Allad, venu du nord, fut devenu roi et qu’il donna sa fille à un noble local appelé Mohammed Wan Ara. Ur-Illemmed, son fils, aidé de ses 6 frères, s’impose aux Kel Tademakat. Puis son fils Eshhawi, vaincu peu après, choisit l’exil vers le sud plutôt que la soumission. Quoiqu’il en soit, les puissantes tribus Iwellemeden nomadisent depuis entre Mali et Niger.

Mais, revenons à Kidal. Une fois les Iwellemeden et les Kel Tademakat partis, ne reste sur zone que quelques tribus trop faibles pour aller combattre une place au soleil près du fleuve. Ce sont pour la plupart des ancêtres des tribus nobles actuelles de l’Adagh : Ifoghas, Idnan, Taghat-Melet et quelques autres. Mais c’est une autre histoire, encore plus compliquée mais qui explique mieux ce qui se trame actuellement là-bas.

Tademakat, elle, disparaît à tout jamais vers les années 1600 de l’histoire des hommes. Une vallée jaune noyée de sable et de ruines éparses.


Un arbre n’étant que le fruit de ses racines, regarder l’arbre sans se demander où sont ses racines condamne à ne rien comprendre à l’histoire de l’arbre. Quand j’entends ou lis des experts (anthropologues, géostratèges, politologues) venir nous expliquer que l’Azawad n’existe pas, que c’est une invention conceptuelle récente, alors que Léon l’Africain le cite trois fois en 1550 (Azoad) dans « Description de l’Afrique » et que la carte de d’Appers/de Wir, datée de 1651, indique un « Desertum Azahad » au nord de Tombutu (Tombouctou), ou encore quand de grands artistes du sud Mali prétendent que le Mali a toujours été un pays sans écriture, ou encore quand les théoriciens du Ganda Koy, une milice songhaïe (qui vient de se proposer pour combattre aux côtés de nos soldats) affirment que les « nomades du nord sont un corps étranger au pays », je me dis que j’ai rêvé tout ça et que Tademakat n’a jamais existé. Ce n’est que le fruit d’une imagination trop enfiévrée.

Les commentaires de AG AZMAANE/AG TADAMAKAT/AÏTA : Lorsque Alain Breggi (ami des gens de Kidal, dans les années 1990) dit, je le cite : « Un arbre n’étant que le fruit de ses racines, regarder l’arbre sans se demander où sont ses racines condamne à ne rien comprendre à l’histoire de l’arbre. Quand j’entends ou lis des experts (anthropologues, géostratèges, politologues) venir nous expliquer que l’Azawad n’existe pas, que c’est une invention conceptuelle récente, alors que Léon l’Africain le cite trois fois en 1550 (Azoad) dans « Description de l’Afrique » et que la carte de d’Appers/de Wir, datée de 1651, indique un « Desertum Azahad » au nord de Tombutu (Tombouctou), ou encore quand de grands artistes du sud Mali prétendent que le Mali a toujours été un pays sans écriture, ou encore quand les théoriciens du Ganda Koy, une milice songhaïe (qui vient de se proposer pour combattre aux côtés de nos soldats) affirment que les « nomades du nord sont un corps étranger au pays », je me dis que j’ai rêvé tout ça et que Tademakat n’a jamais existé. Ce n’est que le fruit d’une imagination trop enfiévrée. », je lui réponds que l’Azawad géographique n’est contesté par personne, depuis le Moyen-Age des rois berbères Massinissa des Numides et Jougourta des Garmantes (ancêtres des touaregs du Sahara, dont ceux du Mali) et la Reine Prêtresse Juive-berbère, La Kahinna/Tinhinan du Hoggar, cependant que l’Azawad politique qui, selon ses concepteurs ignares en politique, rebelles dans leur foi, ces mercenaires de Kadhafi débandés SDF Sahariens, pilleurs et vandales (1990-2019), contient les 5 régions actuelles du Nord Mali (y compris le Gourma jusqu’au Burkina), n’est qu’un rêve, voire un cauchemar.   

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