Qui sont les jihadistes en Afrique de l’Ouest? (1/2)

Qui sont les jihadistes en Afrique de l’Ouest? (1/2)

RFI- Arnaud Jouve-Publié le : 28/01/2020 – 19:44

http://www.rfi.fr/fr/afrique/20200128-sont-jihadistes-afrique-ouest-sahel-sahara

Entretien avec l’analyste Mathieu Pellerin sur la guerre contre les jihadistes en Afrique de l’Ouest. Un regard en deux volets sur le phénomène jihadiste et son expansion dans la région. Première partie.Des combattants jihadistes au Mali (image d'illustration).

Des combattants jihadistes au Mali (image d’illustration). STRINGER / AFP

Mathieu Pellerin est analyste Sahel chez International Crisis Group et chercheur associé au centre Afrique sub-saharienne de l’Ifri, l’Institut français des relations internationales.

RFI : Mathieu Pellerin, quand on évoque les groupes armés contre lesquels luttent les forces nationales et internationales au Sahara et au Sahel, de qui parle-t-on ?

Mathieu Pellerin : On parle de deux entités jihadistes principales. D’un côté, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GISM ou JNIM), qui regroupe différents groupes au Sahel se revendiquant d’al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) : il s’agit principalement d’Ansar Dine et de sa katiba Macina, de la katiba al-Furqan et d’al-Mourabitoune. De l’autre, l’État islamique dans la Province d’Afrique de l’Ouest (Iswap) qui opère à travers deux branches, l’une dans le lac Tchad et au nord-est du Nigeria, la seconde dont le foyer se situe dans la région de Ménaka, au Mali, et qui s’étend dans une zone du Liptako-Gourma, et même désormais au-delà (EIGS). Deux autres groupes opèrent au Nigeria, l’aile de Boko Haram dirigée par Abubakar Shekau et appelée Groupe sunnite pour la prédication et le jihad et Ansaru, lui-même dissident historique de Boko Haram.Le chef de Boko Haram, Abubakar Shekau, apparaissant dans une vidéo.

Le chef de Boko Haram, Abubakar Shekau, apparaissant dans une vidéo. AFP PHOTO / BOKO HARAM

Comment caractériser les jihadistes ?

Les jihadistes au Sahel sont historiquement nés des décombres de la guerre civile algérienne, une partie des jihadistes qui ont refusé la politique d’amnistie (« concorde civile ») du président algérien ayant reflué au nord du Niger et surtout au nord du Mali où ils se sont progressivement sanctuarisés. Le jihadisme est donc d’inspiration étrangère et, encore aujourd’hui, plusieurs de ces groupes sont dirigés par des étrangers (Sahraouis, Algériens, Mauritaniens). Dans le même temps, cette sanctuarisation s’est faite en pénétrant les sociétés sahéliennes et en recrutant majoritairement en leur sein. Les groupes jihadistes sont donc aujourd’hui essentiellement composés de Nigériens au Niger, de Maliens au Mali, de Nigérians au Nigeria et de Burkinabè au Burkina. Les États sahéliens pointent toujours la responsabilité sur un acteur étranger, mais cette réalité basique devrait suffire à les convaincre de regarder avant tout leurs propres responsabilités. La question qui se pose est de savoir comment les agendas globaux et locaux cohabitent, se rejoignent ou au contraire deviennent contradictoires.

Quels sont les nouveaux visages du jihadisme au Sahel ?

La progression du jihadisme dans la bande centrale du Sahel, où les densités de populations sont plus importantes, a fait évoluer la composition de ces groupes. Les populations arabes ou touarègues y sont moins nombreuses, au contraire notamment de la communauté peule, fortement représentée au sein des groupes jihadistes, qu’il s’agisse de JNIM ou de l’EIGS. Si l’emphase est souvent mise sur la communauté peule, il faut rappeler que les groupes jihadistes recrutent au sein de toutes les communautés sans exception. L’EIGS compte des cadres Daoussahak, des Djerma, des Gourmantché, etc. La katiba Macina d’Ansar Dine compte des cadres dogons et bambaras. C’est ça les nouveaux visages du jihadisme au Sahel : là où les observateurs se focalisent sur un soi-disant « jihad peul », les groupes s’ingénient à recruter bien au-delà de cette communauté… Toutefois, avec la chute de l’État islamique au Moyen-Orient, aux difficultés des groupes jihadistes dans tout le Maghreb, et en particulier en Libye, les jihadistes issus de ces zones se replient sur le Sahel. C’est un jihad à la fois de plus en plus local mais qui pourrait être exposé à une tentative d’emprise de la part des chefs jihadistes opérant au Moyen-Orient, au Maghreb, pour qui le Sahel (et l’Afrique plus largement) est le dernier territoire d’expansion.

Des combattants de l’organisation jihadiste al-Mourabitoune. HO / SITE Intelligence Group / AFP

Comment expliquez-vous le développement et la multiplication de ces mouvements insurrectionnels ?

Cela tient avant tout à la gouvernance des sociétés sahéliennes et leur incapacité à y garantir la participation de toutes les communautés. L’exclusion politique, la marginalisation communautaire, la permanence de situations d’esclavage par ascendance, le racket des communautés les plus fragiles, l’absence de perspectives de communautés déclassées sont autant de situations perçues comme « injustes » par ceux qui les vivent et qui leur donne des raisons objectives de prendre les armes. À certains égards, les jihadistes sont les rebelles d’hier : la dimension religieuse au début ne tient qu’une place limitée. Elle est portée par un noyau d’idéologues. Mais ne nous y trompons pas : la radicalisation religieuse s’opère bien souvent après l’enrôlement. Aux yeux de ceux qui rejoignent les groupes jihadistes, ces groupes renvoient à un idéal d’égalité et de justice auquel leurs militants peuvent adhérer sans réserve alors qu’ils ne présentaient aucune prédisposition religieuse à l’origine. Mais la quête de justice vire parfois à la recherche de vengeance, et on voit que cela divise quelque peu les groupes jihadistes entre eux, comme je l’explique dans mon dernier article pour l’Ifri, « Les violences armées au Sahara – Du djihadisme aux insurrections ? ». Ensuite, autour de ce noyau d’individus convaincus et résolument engagés, vous trouvez des acteurs qui rejoignent par intérêt : pour des motivations économiques, par nécessité de se protéger contre un groupe armé ou d’autodéfense, ou contre les forces de défense et de sécurité, ou par simple opportunisme opérationnel pour ce qui est des bandits (coupeurs de route) qui s’allient aux jihadiste pour poursuivre leurs activités…

Y a-t-il, entre tous ces groupes armés, des revendications et une stratégie partagée ?

L’EIGS et JNIM ont autant de divergences de fond que d’intérêts à avancer ensemble face un ennemi qui fait front commun, à savoir les États sahéliens et leurs partenaires régionaux et internationaux. Ces divergences tiennent en particulier à leur position vis-à-vis de l’appartenance communautaire, au respect de la vie civile et des autres religions ou encore à l’opportunité de dialoguer avec les États. Sur ces sujets, JNIM (et al-Qaïda à l’échelle globale) a toujours été bien moins fondamentaliste que ISWAP. Dans le lac Tchad, ces mêmes questions divisent Iswap et le groupe de Abubakar Shekau, et même au sein d’Iswap, le n°2 du mouvement a été exécuté l’an dernier pour l’une de ces raisons. La question est de savoir si ces divergences idéologiques prendront le pas sur l’impératif de rester uni. L’autre élément à avoir en tête est que ces deux groupes sont en quête d’expansion territoriale et qu’à la faveur de l’affaiblissement de certaines katibas de JNIM (du fait notamment des opérations de Barkhane) et d’une radicalisation locale des communautés, l’EIGS a recruté et progressivement grignoté sur les territoires historiques de JNIM (et d’Aqmi). Cela donne lieu, depuis quelques semaines, à des conflits très localisés entre eux, en particulier au centre du Mali et dans le gourma malien. Les deux groupes continuent, en parallèle, de chercher les moyens de s’entendre, mais il n’est pas impossible que les leaders de ces groupes soient eux-mêmes dépassés par la position de leurs combattants… Autrement dit, un conflit peut démarrer à la base entre combattants sans que le leadership de ces groupes en soit responsable.Des jihadistes au Sahel.

Des jihadistes au Sahel. france24

Les grandes organisations jihadistes sahariennes sont-elles toujours les maîtres de la nébuleuse terroriste qui se développe au Sahel et plus au sud ?

C’est une très bonne question. Elles sont maîtresses de cette descente vers le sud mais n’ont pas forcément le même contrôle sur leurs combattants dans ces espaces. Leurs éléments y jouissent d’une certaine autonomie d’action, au point parfois d’agir en contradiction avec les orientations du mouvement, par exemple dans le cas où ils s’adonnent à du vol de bétail. Et plus elles descendront vers le sud, plus il leur sera difficile de s’enraciner. Dans les foyers qui pourraient apparaître demain dans ces espaces, nous verrons des insurrections avant tout politiques ou sociales que les jihadistes chercheront à favoriser ou à soutenir. Les agendas de ces groupes seront encore plus composites. Mais à mesure que le temps passe, les groupes affermissent leur contrôle et assoient leur idéologie.

Les mouvances jihadistes qui opèrent en Afrique de l’Ouest ont-elles une stratégie concertée d’expansion régionale ?

Si les mouvements se revendiquant d’al-Qaïda et de l’État Islamique se concertent pour s’étendre, je ne le pense pas. Le développement du G5 a sans doute contribué à rapprocher les deux entités pour faire front commun au Sahel mais, au-delà, les mouvements restent concurrents dans leurs stratégies d’expansion parce qu’ils poussent dans la même direction. Prenons le nord-ouest du Nigeria qui est un territoire d’expansion pour ces groupes. On observe actuellement une kyrielle de cellules jihadistes se revendiquant de différents groupes aux côtés de groupes de bandits avec lesquels ils entretiennent des relations oscillant entre confrontation et alliances. En revanche, une fois sur place et face à face, il n’est pas exclu que les groupes s’entendent autour d’un partage de territoires pour éviter que leur division ne profite à leurs ennemis communs.

Un commentaire sur “Qui sont les jihadistes en Afrique de l’Ouest? (1/2)

  1. Etant natif des confins Nord-Ouest Mali-Mauritanie, je copie ce qui suit qui doit faire réfléchir les stratèges des FAMA(lettes), Minusma(amusement), barkhane(chachi Boucar) et … G5 Sahel(gros zérox5):

    Terrorisme au Sahel : un nouveau front à la frontière mauritanienne
    Patrick Forestier-Publié le 27/01/2020 à 19:49 | Le Point.fr

    Où déployer les forces pour contenir les terroristes djihadistes ? La question mérite d’être posée après l’attaque perpétrée dans la région de Ségou.La question du prepositionnement des forces du G5 Sahel et de ses allies est cruciale a regler pour pouvoir etre efficace contre les djihadistes terroristes.
    La question du prépositionnement des forces du G5 Sahel et de ses alliés est cruciale à régler pour pouvoir être efficace contre les djihadistes terroristes.
    © AFP

    La nouvelle attaque contre une emprise militaire à l’ouest de Ségou, à 80 kilomètres à peine de la frontière mauritanienne, place désormais cette région comme le second point chaud du pays. Juste après celle des trois frontières qui jouxtent le Niger et le Burkina Faso où sont prévus, depuis le sommet de Pau, des renforts du dispositif français Barkhane et des bataillons africains du G5 Sahel censés éradiquer les GAT, les groupes armés terroristes affiliés à l’État islamique à l’origine de la mort de centaines de soldats. Dans la région de Ségou, en revanche, aucun renfort ne semble être à l’ordre du jour alors que cette vaste zone peuplée est sillonnée par des GAT, qui se réclament, eux, d’Al-Qaïda. Ce sont probablement leurs combattants qui ont tué 20 gendarmes en prenant d’assaut leur camp de Sokolo, situé dans le cercle de Niono.

    Une attaque perpétrée comme d’habitude à cinq heures du matin, qui a surpris les militaires endormis et les sentinelles, pas assez nombreuses ou qui n’étaient pas sur leurs gardes. Personne n’a entendu arriver les motos des terroristes, qui ont dû franchir à pied les derniers mètres. Deux heures de combat avant que les terroristes se rendent maîtres du camp et emportent une dizaine de véhicules, des armes, des munitions et leurs cadavres pour les enterrer eux-mêmes, afin qu’ils ne puissent pas être reconnus. Le temps que les renforts arrivent de Diabaly, pourtant situé à peine à une dizaine de kilomètres, ils s’étaient évanouis dans la nature. L’avion de reconnaissance de l’armée malienne n’a rien vu non plus.

    Lire aussi Mali : le Centre toujours la cible des djihadistes

    Après chaque attaque, les terroristes s’égaient par petits groupes de deux ou trois motos dans une région traversée par une multitude de pistes à travers les champs, des canaux, des bosquets et des hameaux peuplés d’habitants terrorisés par des GAT, qui contrôlent aujourd’hui de facto les campagnes laissées à l’abandon, comme dans la région des trois frontières. Le vide sécuritaire et administratif a laissé peu à peu la place à la loi des djihadistes, qui enrôlent les jeunes sans travail, en colère contre l’État et la corruption des fonctionnaires et des militaires qui prélèvent, pour augmenter leur solde souvent inexistante, des « taxes » indues aux contrôles prétextes qu’ils opèrent à la sortie des villages, sur des pistes peu empruntées par les terroristes.

    La méthode mauritanienne
    Du coup, la région passe sous leur emprise qu’il sera très difficile d’éliminer, comme c’est le cas dans la région des trois frontières où troupes africaines et françaises devraient bientôt se concentrer, sans garantie de résultats. En activant leur front à l’ouest, les GAT, dans une entente tactique, pourraient « soulager » leurs effectifs du centre qui vont très vite se retrouver face à plus de soldats. L’objectif recherché par les chefs terroristes est de redéployer, afin qu’elles dégarnissent les trois frontières, une partie des troupes du G5 vers la Mauritanie. Un pays que les GAT ne se risquent plus à attaquer, car il a su s’adapter à la situation sur le plan intérieur, en surveillant de très près ses imams, tout en les convainquant du bien-fondé de la lutte antiterroriste en leur concédant une marge de manœuvre, sur le plan religieux; qui pourrait valoir de pacte de non-agression avec les extrémistes.

    Du coup, à Nouakchott, pas d’imams, comme on le voit à Bamako, qui vocifèrent dans les rues pour fonder un parti politique et demander le départ des troupes françaises, plus discrètes. Ce sont pourtant des forces spéciales tricolores qui ont été les mentors sur la frontière des groupements d’intervention mauritaniens, très impliqués dans la lutte antiterroriste. Une politique volontariste de Nouakchott qui s’est traduite par une remise à niveau de ses armées, avec un escadron de reconnaissance, trois bataillons parachutistes, d’autres d’infanterie et deux de troupes à chameau de la Garde nationale, qui connaissent le désert comme leur poche.

    Beaucoup ont déjà opéré avec succès par le passé contre des GAT en territoire malien, au nom d’un accord sur le droit de suite. Le même qui unit le Mali et le Burkina Faso, inclus aussi dans le G5, mais qui ont eu il y a quelques mois des différents à propos de leur souveraineté nationale, alors que les groupes terroristes, eux, ne s’embarrassent pas des frontières pour perpétrer des massacres dans les deux pays. Dans les zones près de la Mauritanie où les gendarmes ont été tués, les djihadistes ne la franchissent pas : ils préfèrent rester au Mali et se réfugier dans la forêt de Wagadou qui leur sert de bases arrière. Une immense étendue d’acacias et d’épineux d’une centaine de kilomètres de long sur une quarantaine de large où ont déjà été menées des opérations combinées avec l’armée mauritanienne.

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    Une zone « oubliée »
    En novembre dernier, les soldats maliens s’y sont risqués seuls avec un succès mitigé. Ils ont, selon un bilan contesté, tué des djihadistes, en essuyant des pertes importantes pendant les combats contre un ennemi à l’abri derrière des tranchées et des mines antipersonnel. À partir de ces repaires, les islamistes lancent des opérations contre des convois ou des postes de l’armée. Le 13 décembre dernier, le sous-préfet de Farako a été enlevé à son domicile par des hommes à moto, toujours dans la région de Ségou.

    Le directeur de l’Académie de Ségou avait adressé une lettre ouverte au ministre de la Sécurité et de la Protection civile pour attirer son attention sur ce qui se passe dans cette zone « complètement oubliée des autorités où il n’y a même pas une base militaire pour sécuriser les populations », écrit Mali info. En février 2019, un préfet et un journaliste kidnappés avaient pu être libérés. Un juge de Niono, lui, était mort aux mains de ses ravisseurs en 2017. Le 2 janvier de cette année, les djihadistes ont attaqué la prison civile de Niono, la ville au centre de la zone en guerre permanente. Sans succès.

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    Ils ont perdu un homme dans cet assaut manqué. Mais en décembre 2016, ils avaient réussi leur coup en faisant évader 93 détenus, dont probablement plusieurs de leurs membres. Une présence qui remonte à loin. En 2013, pendant la remontée sur Tombouctou à travers la même région de la colonne de l’opération Serval commandée sur le terrain par le général Barrera, les groupes terroristes étaient déjà présents. N’osant pas se frotter aux blindés français, ils s’étaient repliés avec leurs pick-up dans la forêt de Wagadou. Sept ans après, ils sont toujours là. Et personne n’a réussi à les déloger.

    https://www.lepoint.fr/afrique/terrorisme-au-sahel-un-nouveau-front-a-la-frontiere-mauritanienne-27-01-2020-2359869_3826.php

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